Les Carnets de Cora (Épisode 5)
Épisode 5 : où il est question de censure, de décrypter un poème et de l’île des supplices
Censure ?
Dans le 4e épisode des Carnets, j’ai partagé un poème pour le sauver de l’oubli. Ai-je eu raison de le rendre public sur le mur de Blogres ? Un malin génie ne l’a
pas trouvé à son goût et l’a censuré quelques heures pour son contenu à « caractère pornographique ». C’est une plaisanterie, sans doute !
J’avais intitulé ce poème obscur, « Le viol du corbeau », car je confiais l’histoire d’un croque-mort qui m’avait ramassée sur la route de Millau dans le sud de la France et m’avait déflorée dans son corbillard verrouillé. Sa rapacité en même temps que la possibilité de mourir loin de chez moi, m’avaient paralysée. J’avais alors jugé utile de rendre cette confession publique dans la masse des témoignages de femmes revenues de loin. Ce poème ne me correspond plus aujourd’hui. J’ai survécu alors qu’il s’est figé dans un souvenir lointain. Loin de me consoler, il sert à présent de tombeau à la folie d’un homme, telle une crypte que l’on aménage dans son inconscient pour finalement l’accomplir ou la condamner.
Décrypter un poème
J’ai besoin aujourd’hui de faire sauter les verroux de ce tombeau glacé et de construire, par la magie des mots (comme mon amie Georgette), un lieu totalement libre où je trouverais une rémission de peine. Pourrais-je y parvenir par la portée des mots uniquement, jetant mon dévolu sur ceux qui donnent existence et sauvent de la déraison ? Ce lieu n’est ni utopique, ni uchronique, il rêve d’engendrer un tremblement imperceptible à la lecture, une rotation peut-être ou une transmission.
L’île des supplices
Mon imaginaire tend vers un endroit isolé, dévoile une île inaccessible. Un coin
oublié de tous, sans réseau ni wifi. L’île pourrait ressembler à Saint-Kilda* par son
climat humide et ses pluies incessantes. Un lieu déserté par les hommes, car la vie y serait impossible. Aucun arbre en vue, ni aucune plante, seule une centaine de moutons paissent en autarcie dans quelques pacages verdoyants. C’est là, au cœur de l’égarement, que je mettrais mon agresseur. Ainsi que toutes les brutes, cogneurs et autres sadiques sexuels. Dans ce lieu qui prend forme peu à peu, malléable à volonté, je viendrai le visiter à loisir ou alors je n’y reviendrai plus. Mais je sais qu’il existera dans cet épisode de mes carnets et que dans ces pages au moins, mon agresseur sera préoccupé par la faim, le froid et l’humidité, qu’il ne portera que sa peau comme vêtement parfaitement étanche et qu’il devra piller les nids des oiseaux pour se nourrir. Il entendra en permanence au-dessus de sa tête le rire moqueur des macareux.
Malgré la tentation, je ne souhaite pas envoyer tous les criminels sur une île. Pour les punir, il y a des tribunaux et des peines plus ou moins lourdes prononcées par un système que l’on souhaite juste. Je ne connais pas le nom de mon agresseur, car je n’ai pas eu le courage de porter plainte ni de le traduire en justice. C’était peut-être un homme ordinaire, un bon père de famille. Peut-être est-il mort à présent ? Peut-être n’a-t-il jamais récidivé ? Pourrais-je me sauver sachant qu’il est transi de froid sur un rocher inhospitalier et que son foie est dévoré par une masse de folles de Bassan qui lui rappellent au quotidien ce qu’il leur a volé ?
- Je m'inspire ici de L’Adieu à Saint-Kilda d’Éric BULLIARD pour faire surgir l’île des supplices.